So weak and powerless over you {R.}

« Et voici pour vous messieurs : deux pintes et leurs liqueurs » Deirdre esquissa un sourire fatiguée et posa les commandes sur la table en bois bruns avant de retourner au bar. Le plateau coincé sous son bras, elle laissa son regard balayé la salle du regard. Il y avait beaucoup de monde ce soir, surtout des motards venus du Nord qui avaient fait un long voyage et avaient lu la merveilleuse idée de se remplir le gosier au Shady Pines. On l'avait prévenu pourtant, quand elle avait signé, mais elle avait été directe : c'était une dur à cuir, elle pouvait tout endurer, même une bande de gros loubards assoiffés qui n'avaient pas rencontré une douche depuis près d'un mois et demi. La musique était couverte par le brouhaha bourdonnant du monde, et pourtant Deirdre tentait de se focaliser sur la mélodie pour ne pas tomber dans les pommes. Malgré le monde, les gens, la vie qui continuaient, elle avait toujours été en retrait, comme pas exactement à sa place. Elle était aussi toujours sur le qui-vive, ses muscles tendus et son rythme cardiaque lent, prête à bondir tel un jaguar sur sa proie à la moindre incartade. Pourtant il y avait des personnes ici qu'elle avait réussi à prendre comme point d'attache à la réalité. Il y avait d'abord eu Harley, puis Reaver. De façon inattendue, elle avait réussi avec Harley a avoir une relation amicale plutôt "normale", la seule depuis qu'elle avait fui son passé tumultueux. Alors oui, malgré ses nombreux mauvais côté, le Shady Pines était devenu ce qui s'apparentait le plus à un endroit où elle se sentait en sécurité, telle une maison.
Elle passa devant une table, ramassa deux assiettes et les couverts et retourna en cuisine sans scier. Ses cheveux étaient détachés et ils lui pesaient lourdement : la chaleur l'oppressait, comme si elle avait envie d'exploser. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait même pas allumer une simple bougie du bout d'un ongle, et à l'intérieur d'elle, la température montait. Quelqu'un aurait pu s'inquiéter pour elle d'une très lourde fièvre, or pourtant elle savait qu'elle atteignait déjà les 42° de température. Sa nuque, ses lèvres, son bas du dos, elle suait et suffoquait, mais feignait une allure détendue. La seule chose qui la faisait tenir c'était les litres et les litres d'eau qu'elle ingurgitait pour se rafraîchir. Vivement que son jour de congé tombe : elle irait s'enfermer dans une crique ou marcher plus loin, hors de la ville dans le désert un soir et s'essayerait par terre et tranquillement, son corps s'embrasant pendant des heures puis quand elle serait fatiguée, elle rentrerait chez elle, prendrait une douche et reprendrait une vie normal. Elle détestait faire ça, mais c'était la seule façon de contrôler son pouvoir pour le moment. Elle termina sa ronde par le bar où elle se glissa derrière avec aise, puis effleura légèrement Reaver en passant derrière lui. Elle s'accroupit discrètement, et attrapa la bouteille d'eau au frais dans le frigo réservé aux boissons ayant besoin d'une température fraîche pour être servie. Longuement, elle but au goulot et lâcha un soupire de soulagement quand elle ne put en boire plus par manque d'oxygène. D'un revers de main, elle ôta les perles d'eau qui était restées aux coins de ses lèvres. Dans trente secondes, elle devrait y retourner, et cela l'épuisait d'avance. Elle remonta ses cheveux en une queue de cheval maladroite, puis pivota sur ses pieds, toujours accroupie pour se dissimuler des clients ou du patron qui passerait par là et esquissa un sourire amusé quoiqu'épuisé à Reaver. Dur soirée pour tout le monde.

Elle avait l’air de se sentir mal. Il se maudissait et se traitait de tous les noms, de l’avoir remarqué presque aussitôt, car ça ne lui ressemblait pas. Et puis, il n’aimait pas être ainsi. Curieux, intrigué, inquiet… protecteur. Le contraste avec sa personnalité habituelle – sa vraie personnalité, comme il se le disait, était trop intense. Il se sentait comme un gothique dépressif qui, de temps en temps, réalisait à quel point il aimait les Bisounours. Ce misanthrope sans cœur flanchait à chaque fois qu’elle posait son regard sur lui, parce qu’elle semblait bien trop fragile pour être détestée. Et trop précieuse pour qu’on touche ne serait-ce qu’à un seul de ses cheveux. Debout derrière le comptoir, appuyé sur ses coudes, il fit une moue. Il était un cas social sans espoir. Et à chaque fois qu’il se le répétait, il espérait secrètement qu’une part en lui se réveille enfin et qu’il réalise à quel point il était pathétique. Qu’en fait, Deirdre pouvait très bien se débrouiller seule, qu’elle n’avait pas besoin qu’il la couve comme un bébé. Ou qu’il la surveille comme un petit chiot sans défense en voulant lui assurer un terrain parfaitement sécurisé où jamais elle ne pourrait se faire mal. Le monde était cruel. Si seulement elle savait…

Avec un petit soupir, il se retourna vers elle alors qu’elle s’était glissée derrière le comptoir. « Tu devrais faire une pause. » finit-il par prendre la parole d’un ton qui se voulait complètement neutre. Il savait à quel point elle détestait quand il faisait ça. Presque autant que lui-même, sans doute. Fronçant les sourcils, il l’observa reprendre un plateau vide, prête à repartir à l’attaque et fut presque forcé de le lui arracher des mains, comme le plus cher des trésors. « Sérieusement, Deirdre. T’as une mine affreuse. La soirée est assez agitée comme ça, manquerait plus que tu t’écroules en plein milieu de la salle. » bon, pour le ton qui était censé ne pas paraître protecteur, c’était raté. Les mauvaises habitudes de Reaver revenaient au galop et il le sentait déjà – cette simple conversation innocente allait certainement tourner à une énième dispute où ils allaient échanger des phrases comme ‘Qu’est-ce que t’en as à faire, merde’ et ‘Ne commence pas, t’es chiante’. Mais il y était déjà mentalement préparé. Il savait aussi que rien de ce qu’ils allaient se dire n’allait changer leurs attitudes respectives. Ils n’étaient pas les meilleurs amis du monde. Ils ne se connaissaient pas tellement bien, à vrai dire. C’était pour cette raison que Reaver avait rapidement déduit qu’il se laissait déborder par son instinct paternel. Oui, dans sa tête, c’était aussi simple que ça. Après tout, arrivées à un certain âge, les femmes accumulaient bien un peu trop d’affection et commençaient à se sentir responsables de tous les bébés qu’elles avaient le malheur de croiser. Il devait sans doute y avoir un processus semblable chez les hommes. Manque de chance, cela dit, le ‘bébé’ que Reaver s’est donné la lourde tâche de protéger de tout danger, était rebelle, borné comme pas possible et aimait un peu trop les motards tatoués.

Si elle ne l'avait pas furtivement vu lui prendre des mains le plateau de plastique qu'elle avait récupéré, elle aurait pu jurer que ce dernier lui échappait des mains. C'était à peine si elle était maître de ses propres sens. C'était comme si la gravité était soudain inversé et que le sol s'enfonçait sous ses pieds. Peut être s'était elle relevée trop rapidement et que ce n'était qu'un simple malaise passager. Elle ferma violemment son poing, se piquant du bout des ongles l'épiderme pour se redonner un coup de fouet. Elle hocha mollement de la tête, faisant basculer sa queue de cheval de gauche à droite sur ses épaules couvertes d'un t-shirt noir. En vérité, cela la touchait d'une certaine façon qu'il soit autant attentif à son bien être, mais elle préférait laisser paraître l'irritation d'être encore considéré comme une petite gamine qui ait besoin d'être maternée. Reaver faisait partie de ces rares personnes qu'elle considérait comme 'amis' sans qu'il ne sache pourtant rien de son passé. Malgré lui, il lui rappelait sa faiblesse et donc constamment son passé trouble. C'était aussi pour cela que ce n'était pas le genre d'hommes qu'elle fréquentait usuellement : elle préférait de loin ces hommes qui voyaient juste en elle une demoiselle en âge d'être sexualisée, faible ou non, ils appréciaient seulement sa compagnie et c'est tout ce qu'elle attendait d'eux.

Ce soir n'était pas un soir propice à une énième dispute avec son ami. Elle se pinça les lèvres et lui reprit le plateau des mains, plantant son regard directement dans le sien. « Je te remercie de t'inquiéter, une fois de plus, mais j'ai un boulot à faire et tu ne m'empêcheras pas de le faire » Deirdre termina sa phrase par un coup sec de la tête et se dirigea vers un autre barman pour prendre les commandes qu'il avait déposé sur le comptoir. Puis, elle retourna vers Reaver pour attraper les serviettes en papier et les dessous de verres qui se trouvaient derrière lui. « Et ce n'est pas la peine de me surveiller, je connais mes limites, ça ira » Son ton n'était nullement sec quoique persuasif et franc. Elle retourna vers la salle, ravalant les douleurs dans ses cuisses et sa voûte plantaire dû au fait d'être constamment debout. Elle alla directement à la table six où patientait un homme qui devait sûrement attendre quelqu'un, tapotant nerveusement sur la table en acajou du bout des doigts tout en scrutant les moindres recoins « Votre whisky sec monsieur » Ce dernier sursauta, et esquissa un sourire qui fit frissonner Deirdre de par sa nature quelque peu perverse. Un de plus ou un de moins, elle les connaissait tous, mais celui ci avait quelque chose de différent. Les cheveux noirs bouclés, tombant sur son visage, une énorme cicatrice barrait son front jusqu'au lobes temporales droits. Il avait aussi des dents légèrement écartés comme celles d'un requin et le regard noir. Elle mit de longues secondes avant de se décider à le laisser, comme bloquer par la peur comme quand on veut traverser une route et qu'une voiture fonce sur nous à toute vitesse : on ne fuit pas, on s'arrête et on regarde la mort arrivée droit devant. Après cette conclusion, Deirdre se rendit compte qu'elle venait de comparer cet inconnu à la mort elle même. C'était un signe avant coureur de fatigue de trop. Elle quitta la salle et se dirigea vers le fond des cuisines où l'attendait des poubelles qu'elle devait sortir. Un bon bol d'air lui ferait le plus grand bien, même si ce bol d'air sentirait le reflux des ordures à côté des poubelles.

Ce n’était pas comme s’il s’était attendu à une réaction différente. Après tout, si Deirdre l’aurait sagement écouté, il aurait eu encore plus de raisons de s’inquiéter. Au moins, elle restait égale à elle-même – toujours aussi têtue. Pourquoi ne voulait-elle pas faire l'effort de comprendre ? Ce n'était pas qu’il doutait de sa capacité à se défendre… Bon, d’accord, ce n’était pas vrai. Mais le monde extérieur était tellement dangereux et à ses yeux, elle en était inconsciente. Il ouvrit la bouche, prêt à répliquer, puis se ravisa au dernier moment et se contenta de soupirer en la regardant s’éloigner. « Une fois de plus. » répéta-t-il dans un râle son nez, en commençant à nettoyer frénétiquement le comptoir qui brillait déjà. Tant pis, il lui fallait un truc pour s'occuper et se changer les idées. Il ne savait pas s’il était en colère contre elle ou contre soi-même. Parce qu’il se contredisait, qu'il se faisait du souci pour elle tout en se persuadant du contraire... Ou parce que ses foutus supérieurs à la Craving Hunt ne l’ont pas suffisamment ‘entraîné’ à rester indifférent. Il côtoyait chaque jour des collègues qui n’en avaient rien à ficher, de ce qu’il se passait autour. Et il lui arrivait de regretter amèrement de ne pas en être capable. Comme s’il était trop… faible. Reaver s’accouda de nouveau sur le bar, sans se rendre compte qu’il serrait le chiffon dans sa main à un tel point que les jointures de sa main avaient blanchi. Ce n’était pas tant le regard que ce pervers hideux lança à la jeune fille, ni la façon dont le visage de Deirdre blêmit, avant qu’elle ne s’éloigne vers l’arrière de la cuisine, qui l’obligea à serrer les mâchoires pour maîtriser sa colère. Vidant le verre de whisky que Deirdre venait de lui apporter, l’homme à la cicatrice ricana, comme s’il se délectait d’avance de ce qu’il allait se passer. Puis, sans remarquer le regard concentré de Reaver, il emprunta le même chemin que la jeune brune, claquant la porte derrière lui. Il n’était pas sorti pour fumer une cigarette, c’était certain. Et ignorant le sourire charmeur d’une blonde qui s’approcha du bar, sur le point d’engager la conversation, il laissa tomber le chiffon et se dirigea vers la porte de secours d’un pas déterminé. Il ne pensait pas vraiment à la façon dont Deirdre allait réagir, ni à ce qu’elle allait lui dire par la suite. Elle pouvait le détester, ça lui était égal. Ouvrant assez violemment la porte, il s’arrêta, observant l’homme qui s’avançait vers Deirdre, un rictus malicieux déformant encore plus son visage. « Il y a un problème ? » lança Reaver en faisant quelques pas vers eux et tentant de ne pas prêter attention au regard noir que Deirdre lui lança, irritée par son intervention. C’était sa sécurité qui était en jeu et il n’allait pas rester les bras croisés tandis que ce vieux débris défiguré allait lui faire des avances. Elle n'y voyait peut-être pas d'inconvénient (quoi que, honnêtement, elle n'avait pas l'air ravie non plus) mais lui, si.

Les yeux clos, la respiration calme et les muscles détendus, Deirdre avait réussi à merveille à se vider l'esprit. Elle avait déjà appréhendé les prochaines heures de labeur avec sérénité. L'odeur des ordures qui commençaient à pourrir dans les bennes à côté d'elle, ne fut même pas un obstacle à sa démarche. Au contraire, cela avait l'étrange et dégoûtant effet de la calmer, plus que de l'énerver. Peut être que cela faisait partie de ces petites choses qui lui rappelait que rien n'était éternel que tout finissait à l'état de pourriture, même la plus innocente des pommes ou le plus saignant des steaks. La porte derrière elle émis un long grincement, et des pas frôlèrent le sol avec calme, tel un prédateur qui s'approche de sa proie, Deirdre se retourna, un léger sourire aux lèvres pour rassurer un des cuisiniers qui venait sûrement aux nouvelles de la demoiselle qui était à présent dehors depuis trop longtemps et pour lui ordonner de reprendre rapidement du service car les commandes commençaient à s'entasser dans les cuisines.
Pourtant, le sourire s'estompa immédiatement quand elle croisa le regard noir de l'inconnu aux dents de requins qu'elle venait de servir. Un frisson parcouru son échine, et ses mains tremblèrent légèrement. Il lâcha un ricanement en s'avançant un peu plus « On n'a pas eu le temps de mieux se connaître tantôt, j'aimerais bien qu'on discute » marmonna-t-il d'une voix rauque et enjoué, bien identifiable sous le nom de pervers. Deirdre, tétanisée mais habituée à ce genre de situations depuis qu'elle travaillait au Shady Pines, prit une inspiration.
« Je suis désolée, » fit-elle d'un air faussement déçue « Mais je dois retourner travailler, une autre fois peut être »
Malheureusement, ça ne le fit pas ralentir, il se posta devant elle, passant sa langue sur ses dents jaunis par la cigarette et les abus d'alcool, couvertes de lèvres gercées craquelées de peau. Il avança sa main vers son visage, et Deirdre comprit qu'il s'apprêtait à lui toucher les cheveux. D'un geste vif, elle lui attrapa la main, l'abaissa avec force et planta son regard dans le sien. « Vous feriez mieux de ne pas jouer à ça avec moi » fit-elle.
Elle savait pertinemment que les menaces n'auraient aucun effet sur l'individu, ce pourquoi elle accompagna son avertissement d'une violente étreinte de sa main autour de l'avant bras tatoué de l'homme. Rapidement, la chaleur dégagée par sa main augmenta, et il se mit à couiner en sentant sa peau rougir et ses muscles se tendre sous la chaleur. Sa peau s'apprêtait à cloquer quand Deirdre fut soudain interrompue par la voie de Reaver. Cela eut un effet immédiat sur elle, puis qu'elle lâcha aussitôt le bras de l'homme et s'éloigna d'un pas de lui, en dévisageant Reaver du regard. Heureusement la nuit l'avait dissimulée à lui, il n'avait certainement rien remarqué, mais il l'empêchait de mettre à exécution ses menaces. Et bizarrement, l'homme se montra moins courageux qu'elle ne l'avait cru quand il se retourna vers Reaver en hurlant.
« C'EST UNE MALADE, UNE PSYCHOPATHE, ELLE M'A BRULÉ LE BRAS »
Avant même que Deirdre ait pu riposter en lui hurlant qu'il était fou et qu'elle ne lui avait rien fait, il se retourna vers elle pour lui sauter au visage, emprisonnant de ses mains sa frêle gorge. Sous la masse corporelle, Deirdre chuta en arrière et sa tête se fracassa sur le sol terreux, tandis que l'homme s'abattit de tout son poids sur ses côtes. Elle tenta de tousser violemment pour expulser l'air qu'il venait de comprimer d'un coup de coude, mais elle ne put le faire à cause de l'entrave autour de sa gorge, et elle commença à s'étouffer sous les yeux de Reaver.

[vraiment désolée pour le retard ]