SOMEBODY LIKE YOU (R).

Le café et la boîte de cupcakes entre les mains, Polly parvint tant bien que mal à ouvrir la porte de la galerie, frissonnant lorsque la chaleur de l'intérieur contrasta avec le froid mordant de la rue. Elle avait encore dû traverser la moitié de la ville pour trouver les gâteaux que sa supérieure voulait et commençait sérieusement à se sentir... exploitée. Malgré le fait qu'à de nombreuses reprises, la jeune femme avait démontré à quel point elle était dévouée à son travail et avait le sens de l'organisation et des responsabilités, sa chef continuait de la traiter comme une bonne à rien. Et encore, elle ne savait même pas que Polly était enceinte. Dieu merci, cela ne se voyait pas encore vraiment et les larges pulls et manteaux l'aidaient à balayer tout soupçon possible. La jeune femme appréhendait avec horreur le jour où elle allait enfin devoir l'annoncer à sa patronne. Pour le moment, elle était juste fatiguée et à bout de nerfs, alors un large sourire forcé aux lèvres, elle déposa 'la commande' sur le bureau de la directrice, sans rien dire et tourna les talons pour quitter son bureau au plus vite. Pitié, pitié, faites en sortes qu'elle ne dise rien. « Polly ? » La jeune femme ferma les yeux, immobile, puis se retourna lentement vers Dorris qui la dévisageait d'un air suspicieux. Instinctivement, Polly tira un peu plus sur son pull. « Tu me sembles très distraite, ces temps-ci. Tout va bien ? » « L'exposition de lundi se déroulera comme prévu, tout est sous contrôle, vous n'avez pas à vous inquiéter. J'ai déjà appelé Mr. Slater, et les décorateurs devraient arriver vers onze heures, ce qui nous laissera le temps de tout mettre en place, » déballa la jeune femme précipitamment, dans un souffle.

« Je ne m'inquiète pas pour cette exposition. Tu devrais peut-être prendre quelques jours de repos, » lui proposa sa supérieure et Polly sentit sa gorge se nouer. Quelques jours de repos ? C'était, à ses yeux, un moyen de lui dire qu'elle ne servait plus à rien. Oh Seigneur, elle allait se faire virer ! Elle allait se faire virer et elle n'avait rien vu venir. Alors qu'elle continuait de s'imaginer le pire - exagérant comme toujours, depuis quelques temps, Polly sursauta légèrement en entendant la petite clochette de la porte d'entrée résonner. « Je... je vais voir qui c'est, » marmonna la jeune femme, y voyant un prétexte pour fuir le bureau de sa patronne qui continuait de l'observer avec cet air curieux et... Qu'est-ce qu'elle n'aimait pas ça ! Alors qu'elle se dirigea vers le hall, sur le point de sortir, Dorris l'interpella de nouveau, mais cette fois-ci, Polly ne s'arrêta pas. Elle fit même mine de ne pas l'écouter. « Réfléchissez-y, à cette proposition, vous en auriez bien besoin. » Fermant la porte derrière elle, Polly laissa échapper un petit grognement frustré. Entre une Dorris tyrannique qui l'exploitait comme sa domestique personnelle, et une Dorris qui soudainement, semblait si curieuse et même inquiète pour elle... elle ne savait même pas laquelle était la pire. Heureusement que le visiteur de la galerie n'était personne d'autre que Liam et que cela suffit à lui redonner le sourire alors que, poussée par un élan d'émotions - certainement dû aux hormones, c'était son excuse du moment, elle alla se blottir dans ses bras. « Oh mon Dieu, Liam, je crois que je vais me faire virer. C'est horrible. »

Je me rappelle quand Polly m'a contacté pour la première fois: on ne se connaissait absolument pas, bien qu'on partageait le même amour pour notre ville, on ne s'était jamais rencontrés, jamais effleurés, jamais regardés. Elle m'expliqua avec beaucoup d'assurance qu'elle était tombée sur une photographie que j'ai faite et publié dans le journal local, et qu'elle a tout simplement eu un coup de cœur. Qu'elle aimerait que je vienne faire un saut à la galerie d'art montrer mes autres œuvres à sa supérieur, avec de grande chance de me faire exposer. Je n'y croyais pas, mais pourtant, quelques secondes plus tard, j'étais pris d'une euphorie incontrôlable et je me suis mis à sauter partout dans mon appartement, alors que Polly était toujours au bout du téléphone.

Ma première exposition fut divine, Polly avait tout simplement su montrer mon univers et mes sentiments dans cette salle. Elle avait su associer les photographies avec harmonie et ces choix étaient assez incroyables: pour une fois, grâce à elle, j'étais satisfait de mon travail. C'est ainsi qu'elle et moi nous sommes devenus amis, ou plutôt inséparables, s'aimant à l'infini sans dépasser les limites de l'amitié. On croit que les personnes qu'on aime le plus sont celles qu'on connaît depuis de nombreuses années, pourtant, rapidement ma petite Polly pocket avait pris la place de mes plus vieux amis du collège, ou mes camarades de l'école de photographie. C'est ainsi.

Ma quatrième exposition est prévue pour la fin du mois, et j'ai cette tendance à vouloir que tout soit parfait et j'aime l'idée qu'elle soit prête bien avant l'heure alors je me rends au moins deux fois par semaine à la galerie d'art pour veiller à ce que cela soit comme j'adore, et puis je vois également Polly, alors c'est loin d'être une perte de temps. Finissant ma cigarette et jetant la fin de mon café dans la poubelle à proximité, je fais résonner la petite clochette afin qu'on vienne m'ouvrir: je me rappelle d'une fois où je me suis permis de rentrer sans demander la permission, et combien la supérieur de Polly m'a enguirlandé en criant que son lieu n'était pas un moulin -d'ailleurs avec Polly, on était impressionnés par Dorris qui avait cette capacité à faire sortir ses yeux sans pour autant les décrocher-.

Heureusement, c'est souvent Polly qui m'ouvre quand je viens et cela se confirme encore cette fois-ci, sauf qu'aujourd'hui en me voyant elle se réfugie dans mes bras et je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire, tout en posant mes mains en dessous de ses épaules pour la serrer un peu plus fort. « Oh mon Dieu, Liam, je crois que je vais me faire virer. C'est horrible. » Je me détache légèrement d'elle et fronce les sourcils, très surpris de ses mots, car je n'imagine pas une seule seconde Dorris se débarrasser de Polly, même si la patronne est parfois tyrannique et imbuvable. Je prends la main de mon amie et l'entraîne à l'intérieur, tout en fermant la porte derrière nous, ne voulant pas qu'elle attrape froid. Avant, l'idée qu'elle soit angoissée pour un rien me faisait rire parce que ça la rend attachante, mais aujourd'hui, maintenant qu'elle a un petit bébé qui pousse, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter. « Tu dois te tromper, te connaissant, tu tires des conclusions trop hâtives. T'es une acharnée du boulot Polly, tu te donnes à fond, d'accord parfois Dorris est assez exécrable envers toi, mais maintenant, elle ne peut se débrouiller seule. Pourquoi tu penses que tu vas te faire virer? »

Il n’avait pas tort, Polly avait tendance à paniquer pour rien, habituellement. Ses réflexions, partant d’un rien, prenaient bien souvent une ampleur démesurée, mais la plupart du temps, il y avait plus de peur que de mal. Seulement, essayez donc de le lui expliquer, lorsque dans sa tête, son avenir était déjà tout tracé. « Je ne pourrai plus payer le loyer, Sienna et moi allons nous retrouver dans la rue et je vais être obligée de vendre des hot-dogs, » poursuivit-elle, folle d’angoisse, sans même véritablement entendre ce que Liam lui disait. Se passant une main sur le front, elle se dirigea vers un petit banc en marbre qui faisait face à l’un des plus grands tableaux accrochés à la galerie. Elle avait prit l’habitude de s’asseoir juste devant et de le contempler en silence, lorsqu’elle avait un peu de temps libre. Ça avait un effet apaisant sur elle et puis, en bonus, il y avait la présence de Liam. Liam qui, en plus d’être son meilleur ami, était également son petit calmant personnel. « Elle a dit que je devais prendre quelques jours de repos. Quelques jours de repos, t’arrives à y croire, toi ? On a une des plus importantes expositions du mois prévue pour lundi prochain et elle veut que j’aille me reposer ! » s’exclama la jeune femme, tout en jetant un coup d’œil furtif vers le bureau de Dorris, histoire de s’assurer que celle-ci ne les entendait pas. Il ne manquait plus qu’elle l’entende se plaindre. Se raclant la gorge, Polly se mit à se tortiller les doigts, nerveuse. « Il n’y a pas de suggestion plus explicite que ça, Liam. Elle veut se débarrasser de moi et je parie qu’elle se doute de quelque chose. » D’un certain côté, elle ne savait même pas pourquoi elle en faisait un tel drame. Elle-même envisageait la possibilité de quitter ce travail, bien trop épuisant et stressant, qui allait certainement lui causer du tort un jour ou l’autre si elle ne ralentissait pas. Elle avait déjà réfléchi à tout ça et pourtant, c’était tout de même une pilule difficile à avaler. Son travail à la galerie était l’une des seules choses qui l’aidaient à ne pas perdre les pédales, à ne pas penser à la Craving Hunt, au fait qu’elle était constamment en danger. Elle était persuadée que si elle passait ses journées à la maison, elle allait devenir d’autant plus paranoïaque et névrosée. Reposant sa tête sur l’épaule de Liam qui s’était assis à ses côtés, Polly soupira. Il fallait qu’elle respire et qu’elle se calme. « Hey, » fit-elle, soudain, en redressant sa tête et en lui souriant. « Je suis tellement bavarde, quand je suis stressée, - je ne t’ai même pas demandé ce que tu es venu faire là. T’angoisses pour l’expo, hein ? » le taquina-t-elle avec un air amusé, en lui donnant un léger coup de coude dans les côtes. Bien que Liam soit devenu, en quelque sorte, un habitué des lieux, elle le connaissait suffisamment bien, à présent. Il avait, lui aussi, ce côté perfectionniste qui ne le laissait pas tranquille à l’approche d’un événement important. Et sa nouvelle exposition, la quatrième depuis le début, l’était sans aucun doute.